Interview de Richard Caron dans la Lettre des Achats

Interview de Richard Caron dans la Lettre des Achats

Meogroup, et sa marque emblématique, Meotec, né en 2005, connait un solide développement sur le marché du conseil Achats (50 millions d’euros, 500 personnes). Au point d’adosser à ses activités, deux marques historiques, Cristal Décisions et Masaï, la première dans la performance des dépenses indirectes, la seconde dans le conseil en achats stratégiques. Cap maintenant sur les synergies. Rencontre avec un entrepreneur, auteur de BD. Des planches, oui, mais sans langue de bois !

 

Vous venez de racheter deux marques de conseils dans les achats, Cristal Décisions et Masaï, qui avaient un peu disparu des écrans radars. Pourquoi cette opération ?

Ces nouvelles activités ne sont pas arrivées chez nous par hasard. Nous sommes allés les chercher ! Le groupe Ayming souhaitait se recentrer sur ces métiers historiques et nous, nous voulions développer une activité sur la performance Achat. Il y a eu un bon alignement des planètes. Il n’y a pas énormément d’acteurs de ce type. Lorsqu’il en existe, ils sont souvent un peu noyés dans les grands groupes. Nous pourrions d’ailleurs continuer à avancer sur d’autres opérations de rapprochement à court terme.

Nous avons un peu plus de 240 clients aujourd’hui. Nous avons quasiment tout le CAC 40 mais aussi le SBF 120, des ETI, des PME, des startups. Ces clients nous sollicitent régulièrement sur des projets de mise sous contrôle de la dépense sur telle ou telle catégorie comme les télécoms, l’énergie, les flottes auto, l’intérim, ou encore la renégociation de baux immobiliers par exemple. Ils nous posent généralement deux questions : est-ce que vous pouvez nous aider ? Est-ce que vous pouvez mettre en place un contrat success fees ? ll s’agit ni plus ni moins que d’intégrer tout ou partie de notre rémunération, dans une clause de succès. Or cela, nous ne savons pas le faire ou pas bien. Nous ne sommes pas outillés juridiquement, nous n’avons parfois pas les accréditations nécessaires comme il en existe dans l’immobilier, les assurances[1], etc.

Cristal Décisions avait toutes ces accréditations que nous n’avions pas. Nous aurions pu développer tout cela nous-mêmes et acquérir ces compétences. Mais cela aurait pris deux ou trois ans. Or, c’est maintenant que les clients nous sollicitent. Nous avons préféré conclure cette acquisition.

 

Le savoir-faire Achats ne serait pas transférable d’un domaine à l’autre ? Que dire aussi d’un mode de rémunération basé sur les gains ? Un changement de philosophie ? Un risque ?

Il y a des catégories d’achats où nous avons plus d’expertise que Cristal Décisions mais il y en aussi pour lesquelles nous n’avons aucune expertise. Acheter de l’assurance, nous ne savons pas faire. Or, il y a de gros enjeux sur les achats d’assurance. Chez Cristal Décisions, ils sont accrédités. Ils sont même courtiers. Ils disposent de tous les benchmarks pour bien se positionner entre risques, exposition, couverture, etc.

Alors, c’est vrai, le principe du success fees consomme beaucoup de BFR jusqu’à ce que nous encaissions la rémunération de notre service Mais le groupe se porte bien. Nous avons une bonne trésorerie. Nous avons maintenu notre chiffre d’affaires en 2020 au plus dur de la crise. Nous avons continué à gagner de l’argent. Donc, nous avons des capacités de financement qui nous permettent aujourd’hui de regarder avec sérénité ce type d’activité avec un business model différent.

Autre point : il n’y a pas ou très peu de récurrence sur une même catégorie de dépenses d’une année sur l’autre du côté des clients. Mais ces mêmes clients, si vous réalisez des gains sur l’intérim, par exemple, ils vous solliciteront très vite sur d’autres familles d’achats. De nouvelles catégories vont s’ouvrir aux équipes. Il y a aussi beaucoup de recommandations actives, d’une entreprise à l’autre.

Nous avons enfin un autre levier : l’international. Cristal Décisions rêvait d’y aller. Nous, nous sommes en Belgique, en Italie, en Espagne. Nous avions déjà des demandes. Or, nous n’avions ni les ressources, ni e temps. Nous allons pourvoir y répondre. Il y a d’ailleurs sur ces marchés une vraie appétence aussi pour des prestations au success fees.

 

Vous n’avez pas encore parlé de Masaï. Les métiers portés par cette structure ne sont-ils pas déjà présents chez Meotec ? Y a-t-il une logique à conserver autant de marques ?

Masaï va nous apporter ses compétences en redesign to cost qui viendront compléter ce que nous pratiquons déjà. Mais le plus notable, c’est le pouvoir de cette marque ! Même en retrait sur le marché, elle conserve une attractivité, une notoriété incroyable. Il existe une vraie diaspora d’anciens de Masaï. Sa reprise me vaut des messages enthousiastes ! C’est très spectaculaire. Nous sommes très motivés à l’idée de la redéployer.

C’est très important pour nous la notoriété de ces marques. Meotec s’est créé il y 16 ans, en 2005. Nous employons quasiment 500 personnes au travers de huit agences en France et de 4 pays (France, Belgique, Italie, Espagne).

 

Quels sont les métiers de Meotec aujourd’hui ?

Les achats représentent aujourd’hui 50% de notre activité et nous y faisons de la délégation de ressources, du BPO et enfin du conseil Nous avons aussi trois autres métiers : la supply chain – la frontière est parfois un peu floue avec les achats -, le contrôle des coûts et des budgets – du contrôle de gestion très opérationnel lié aux projets, aux process, aux produits. Il ne s’agit pas d’analyse financière ou de la reconstitution d’un bilan mais de mesure des coûts, y compris dans des projets de performance Achats. Nous faisons du PMO Achats par exemple (Project Management Office) ou du contrôle de gestion des Achats. Le troisième métier ou levier, c’est le pilotage de projets de transformation. Donc là, nous sommes vraiment en gestion de projet, conduite du changement et accompagnement. Nous avons travaillé sur de très bons projets. Depuis l’écriture d’une ambition stratégique jusqu’à son déploiement opérationnel mais aussi des fusions, des scissions d’activités (carve-out). Mais notre force, c’est d’être présent dans l’opérationnel. Quand il s’agit de mettre en œuvre le projet, d’avoir les expertises pour le faire.

 

Sur la partie Achat de votre activité, et notamment le BPO, qu’est-ce qui vous distingue de vos concurrents ?

Nous faisons en effet du BPO – mais pas d’achat pour compte – et plutôt sur des achats complexes, souvent stratégiques et non récurrents. A contrecourant de ce qui se pratique d’ordinaire où le BPO se rencontre surtout sur des achats de classe C, non stratégiques, sur de gros volumes et avec de faibles potentiels de gain ou d’optimisation. Nous, nous attaquons à des marchés de travaux, des achats de matières premières, des achats d’IT, des achats de sous-traitance, etc. Et nous adressons ces marchés avec des profits plutôt confirmés, voire seniors.

 

Ce sont vos propres consultants que vous déployez ? Etes-vous confrontés à ces pénuries de talents que beaucoup évoquent ?

Ce sont nos propres troupes qui interviennent. Nous recourons le moins possible à la sous-traitance. Aujourd’hui, le plus dur, c’est de développer le sentiment d’appartenance. Nous investissons beaucoup pour y parvenir. Un exemple très concret. : nous avons doublé la surface des bureaux que nous occupons. Sans changer d’adresse, en restant au même endroit. Nous prenons le contrepied du marché. Même nos clients réduisent les surfaces qu’ils occupent. Le télétravail permet d’occuper moins de mètres carrés, de mettre en place du flex office, etc.
Or nos consultants vont de moins en moins chez les clients. Nous avons pensé que plutôt que de rester chez eux, isolés, comme nous y avons été contraints pendant les périodes de confinement, ils préféreraient revenir. Et c’est le cas. Avec nos surfaces supplémentaires, nous avons créé des espaces d’échanges, de convivialité, de formation. Nous avons choisi de capitaliser sur ce mode de partage en nous appuyant sur une logique d’aménagement qui respecte les codes des nouvelles générations. Et cela a renforcé le sentiment d’appartenance, le poids de la marque, en particulier la marque employeur.

 

Comment prévoyez-vous le marché du conseil en 2022 avec des ressources que l’on promet rares et chères à la fois ? Que voudront les entreprises ?

La pandémie a suscité des craintes très fortes dans toutes les entreprises. Qu’allait-il advenir de l’activité, de la trésorerie ? Fallait-il se recentrer ? Développer de nouvelles activités ? Quel était aussi le niveau de dépendances vis-à-vis de certaines zones géographiques, pour les ventes comme pour les achats ? Il y a eu une forte remise en question. Néanmoins, la casse a été moindre que celle redoutée. Les pouvoirs publics ont joué un rôle essentiel avec toutes les mesures d’aide. C’était avant tout une crise du cash.
Mais après avoir fait le dos rond, les entreprises se sont ressaisies. Les activités repartent. Il y a des projets partout. Soit des projets curatifs qui visent à rattraper le retard, soit des sujets préventifs, qui visent à transformer la fonction Achat et à se prémunir intelligemment d’un certain nombre de risques. Seulement, la crise des matières premières rappelle que l’on a tout arrêté un temps. Au moment de la reprise, il y a nécessairement des tensions sur les prix comme sur les approvisionnements avec des ruptures de supply chain à la clé. Certes, nous avons beaucoup entendu parler de relocalisation puis de réindustrialisation mais sans en voir encore la réalité… En vérité, c’est business as usual. Les entreprises investissent de nouveau. Je pense que 2022 et 2023 seront de bonnes années.
Comment tirer son épingle du jeu dans un marché qui est très compliqué sur le plan du recrutement ? Et il y a trois leviers pour cela. Le premier, c’est de développer, renforcer la marque employeur, le sentiment d’appartenance. D’où le choix un peu anachronique que nous venons de faire pour développer nos espaces de travail. Second levier : l’international. Nous allons continuer à ouvrir deux agences et deux pays par an. Le troisième levier, c’est d’organiser la mobilité géographique à destination des équipes comme des clients.
En effet, la situation du recrutement des acheteurs en Europe n’est pas uniforme. En France, c’est compliqué, mais il existe de nombreuses formations qui, de près ou de loin, abordent le sujet des achats. En Belgique, il n’y en a pas du tout !Beaucoup de gens qui viennent de France et d’ailleurs vont en Belgique et un peu Suisse pour les mêmes raisons. A côté de ça, sur le pourtour méditerranéen, en Italie, en Espagne, au Portugal, il y a des profils qui ont fait de très bonne formation, comme les écoles Polytechnique de Turin ou de Barcelone par exemple, qui sont mobiles, même si le télétravail réduit cette mobilité. En tout cas, nous comptons beaucoup sur ce réservoir de compétences pour déployer nos activités. Nous ne sommes pas au bout de cette crise des recrutements. Je pense même qu’elle devrait s’amplifier au cours des prochains mois.

 

Mais au moment même où nous assistons à une mutation du travail, avec la mobilité géographique, le freelancing, etc., comment expliquer cette crise des recrutements ?

Il y a un problème de fond qui dure maintenant depuis plus de dix ans : la désaffection des jeunes pour les carrières scientifiques et techniques. Un ingénieur ne veut plus faire son métier d’ingénieur. Il veut monter une startup, faire du marketing, mieux, du marketing digital. De nouveaux métiers génèrent en effet beaucoup d’appétence pour ces candidats à l’emploi. Quant aux achats, ils ne font pas encore assez rêver ! Même si l’image de l’acheteur a considérablement évolué ces dernières années, tant que les étudiants n’ont pas fait un stage au service achats pour comprendre l’intérêt stratégique et le rôle pivot de cette fonction dans l’entreprise, ils n’y vont pas facilement. Le deuxième point, c’est que, comme partout, les bons profils Achats sont rares, nos jeunes qui sortent des formations spécialisées s’exportent bien, sont bien payés … Enfin, dernier point : beaucoup pensent, dans les entreprises, que les achats pourraient être bientôt automatisés, robotisés… Or, véritablement, le rôle de l’acheteur dans la gestion de sa relation avec ses fournisseurs, le lien qu’il crée entre tous les services de l’entreprise, la R&D, l’innovation, l’IT, est essentiel ! Et même si on communique beaucoup plus aujourd’hui sur ce beau métier qu’il y a dix ans, il reste encore beaucoup de progrès à faire.

 

Quelle perception peut-on avoir des achats ? De fortes contraintes pèsent sur eux, les stratégies ne sont pas forcément claires au sommet, ils donnent de plus en plus dans la
« compliance », le « reporting », comment passionner de jeunes diplômés ?

Un acheteur gère tellement de sujets différents, qu’il est là le fort pouvoir d’attraction de la fonction. Nous qui faisons de l’Achat, nous rêvons de capitaliser sur toutes les facettes de cette fonction. Cela fait plus de 15 ans que nous développons des boîtes à outils. Mais sur plus de 3 000 projets achats réalisées, il n’y en a pas eu deux pareils. Il est fini le temps de l’acheteur empêcheur de tourner en rond, celui par qui il fallait passer pour pousser des commandes auprès de fournisseurs qu’il choisissait seul et avec lesquels il avait également négocié seul. Aujourd’hui, les achats ont un rôle essentiel au cœur de l’innovation des entreprises. Ce devrait être motivant pour des têtes bien faîtes !
Revers de la médaille, la progression des directions Achats dans les Comex des entreprises n’est pas assez rapide ! Or, les directions des Ressources Humaines y sont systématiquement comme maintenant les directions du Développement durable…

 

Dernier sujet dont nous avons à peine parlé : le SI Achats. Vous n’êtes pas sur le marché, semble-t-il, très juteux de l’intégration ? D’autres projets d’acquisition ?

Pas encore, mais nous regardons tout cela de très près. Nous irons sans doute. Peut-être par acquisition. Cela nous permettrait d’adresser encore plus toute la chaîne de valeur de la fonction achats auprès de nos clients.
Je voudrais aussi revenir sur l’origine de notre échange : l’arrivée chez nous de Cristal Décisions et de Masaï. Le marché parlera d’acquisition. Une précision quand même : d’une part, je suis très fier d’avoir ces entreprises au sein de notre groupe. Au début de ma carrière, elles étaient des références dans toutes les entreprises que nous prospections. D’autre part, les cadres qui nous ont rejoint sont désormais largement associés au capital. Nous tenions vraiment à les remettre dans une posture d’entrepreneur et que ce soit une aventure commune pour que cela fonctionne ! Il faut conserver aux marques leur pouvoir, leur autonomie. Et nous avons déjà des deals en commun. Tous les indicateurs sont au vert, les synergies sont évidentes, le projet est motivant !


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