Digitalisation, vecteur de transformation et de création de valeur pour la fonction Achat

Digitalisation, vecteur de transformation et de création de valeur pour la fonction Achat

La digitalisation, cette lame de fond qui transforme l’entreprise profondément et durablement n’épargne pas la fonction achat comme toutes les autres fonctions de l’entreprise. Elle vient transmuer ses modes de fonctionnement, sa relation avec ses clients internes et bien sûr avec ses fournisseurs.

 

UNE ORGANISATION PLUS ORIENTEE VERS L’EXTERNE ET PLUS PROCHE DES CLIENTS FINAUX
La transformation numérique exhorte les acheteurs à connaître les préoccupations des clients finaux, à s’approprier la stratégie de l’entreprise via les offres produits et/ou services. C’est un axe de progression important, car c’est un moyen pour promouvoir l’entreprise et ses enjeux auprès des « écosystèmes fournisseurs » et pour s’assurer d’un alignement stratégique entre les parties. De surcroit, cela permet de capturer les opportunités des ressources externes, vecteur de différentiation pour les produits et/ou services. La vocation principale de la fonction achat étant bien d’acheter pour vendre.

Afin d’être au plus proche des écosystèmes externes, il est nécessaire de définir le meilleur modèle organisationnel achat qu’il faudra adapter en fonction de la localisation des marchés fournisseurs. Cela permettra de mieux comprendre, d’influencer et de développer les marchés fournisseurs.

 

UNE DEMARCHE « CATEGORY MANAGEMENT » EPROUVEE MAIS QUI DOIT EVOLUER POUR REPONDRE AUX CHANGEMENTS STRUCTURELS DES MODELES ECONOMIQUES DES MARCHES FOURNISSEURS
Aujourd’hui, le « category management » est de plus en plus déployé et est reconnu comme un mode de fonctionnement efficace. Il repose sur une spécialisation des acheteurs par famille d’achats, permettant ainsi une meilleure information et compréhension sur les besoins ainsi que sur les écosystèmes, afin de construire une stratégie achat performante. En complément, il facilite la mise en œuvre des leviers avancés (design to cost, « make/team/buy », l’analyse de la valeur, TCO, etc.), le pilotage des dépenses et les relations avec les fournisseurs stratégiques (« supplier relationship management »). L’innovation initiée par la fonction achat s’en trouvera donc renforcée et l’identification des nouveaux « écosystèmes fournisseurs » innovants (startups, PME innovantes, etc.) sera favorisée. Le capital fournisseurs sera ainsi circonscrit et pourra faire l’objet d’un plan de développement spécifique.

Le digital a modifié et va encore changer les offres des fournisseurs et la structure des marchés. De fait, l’organisation des catégories se verra transformée avec l’apparition de nouvelles catégories d’achats (exemples : la Data, les capteurs de collecte de données, les imprimantes 3D, les drones) et les frontières de certaines seront redéfinies comme celles liés aux achats IT. Le poids de la donnée et la transformation du mode de commercialisation de l’acquisition d’une solution, d’un service, d’un droit d’usage seront des inducteurs significatifs de modification des catégories (cf. mon article : La donnée catalyseur de la transformation de la fonction achat : une opportunité ou une obligation pour l’avenir ?). De plus, la segmentation « directe » et « indirecte » devront aussi évoluer, et peut-être disparaitre, car des acheteurs « indirects » se verront de plus en plus sollicités sur des problématiques d’achats directs au travers du digital.

 

LE POIDS GRANDISSANT DES ACHETEURS PROJETS DANS LES ORGANISATIONS
Il convient aussi de prendre en considération le fait que les entreprises fonctionnent de plus en plus en mode projet avec un management transverse. Il est donc crucial que les acheteurs puissent impérativement être associés dès le début dans la démarche projet. De surcroit, la transformation digitale des entreprises se déclinent au travers de projets au sein des organisations. La fonction achat doit donc s’appuyer encore plus sur une organisation achat projets avec des acheteurs dédiés aux projets, ayant pour vocation d’intégrer en amont les projets afin de gérer les risques/opportunités, le développement de l’innovation et être garants de la compétitivité.

 

DE NOUVEAUX METIERS ET UNE EVOLUTION DE CERTAINES PRATIQUES
En dehors des fonctions régaliennes, il convient aussi de dessiner les fonctions de demain qu’elle devra intégrer dans son organisation. Plusieurs domaines d’activités vont apparaitre ou voir leur périmètre d’attribution se développer :

  • Le digital par le biais de la définition des cas d’usages, de l’expérience clients internes et fournisseurs, de la stratégie de données, des projets intelligence artificielle. Le digital donnera lieu à de nouveaux métiers dans l’organisation, comme le data manager, le chef de projets intelligence artificielle, etc.
  • Le « supplier relationship management » se verra lui aussi impacté avec un renforcement des activités de pilotage et développement des écosystèmes fournisseurs par le biais de projets de « supply chain 4.0. » intégrés dans l’entreprise étendue. Là encore, de nouveaux métiers seront créés comme le « suppliers community manager » avec un rôle qui ne se cantonnera pas seulement à celui de communicant car il devra créer du lien avec les écosystèmes fournisseurs en s’appuyant sur des « suppliers ecosystem partner » qui auront pour missions principales le développement d’avantages concurrentiels, de la performance et de relais de croissance.
  • L’innovation sera une priorité avec des postes à la frontière de la fonction achat et de la fonction innovation ayant pour objectif de développer l’open-innovation afin de créer de la valeur. Certaines organisations ont déjà créé ce type de postes qui devraient se démultiplier avec la progression du digital. On peut même imaginer un rattachement hybride permettant ainsi un alignement des objectifs et une meilleure stabilité et intégration des innovations dans les offres produits et/ou services.

 

Une des conséquences de la révolution numérique sera peut-être pour les directions générales de reconsidérer l’apport des écosystèmes externes dans la chaine de valeur, et de fait, celui de la fonction achat comme accélérateur de la performance et contributeur du chiffre d’affaires qui se concrétiserait par le rattachement direct de la fonction achat à la direction générale permettant ainsi de développer le capital fournisseurs et ses opportunités. Cette évolution dépendra avant tout du poids de la fonction achat dans le chiffre d’affaires, de son niveau de maturité et de l’ambition du management pour la fonction achat. Ce rattachement lui permettra de participer directement à la stratégie de la firme, de promouvoir l’innovation fournisseurs, source de création de valeur, de rapprocher les marchés fournisseurs des attentes des consommateurs, de proposer des actions de transformation et de performance. La légitimité et la visibilité de la fonction en seront ainsi renforcées.

En synthèse, une organisation qui intègre les opportunités du numérique alliant ouverture et adaptabilité sur les écosystèmes externes et les attentes clients, améliorant ainsi l’interopérabilité de l’entreprise avec son réseau étendu. On pourrait même imaginer changer le titre de Directeur des Achats par celui de Directeur du Sourcing et du Développement des Ecosystèmes Fournisseurs…

 

Raphaël BELLIERE – LOTTIER Docteur en Sciences de Gestion Directeur Général Adjoint en charge des Achats, du Digital et de l’Innovation au sein du cabinet MEOTEC.